La marche et le cerveau sont connectés de façon profonde, influençant notre pensée et notre bien-être.

Il y a quelques temps, j’ai été sollicitée par une collègue coach, Michèle Vielfaure-Chapuis (Au nom du sens Coaching) qui pratique le coaching en marchant en milieu naturel. Sa question était de savoir si les neurosciences peuvent venir éclairer les effets qu’elle constate sur les personnes qu’elle accompagne. J’ai d’abord voulu tester moi-même cet accompagnement en marchant et, pour ce faire, nous nous sommes retrouvées, un jour de grand vent, sur la plage pour une séance de supervision. C’était une expérience riche en sensations et avancées sur ma problématique. Vous voyez, j’emploie ce mot d’avancée car, oui, il s’agit bien ici de relier la marche à la cognition.

En outre, j’avais déjà réfléchi à ce sujet, notamment à comment le mouvement interagit avec les apprentissages. J’ai voulu pousser plus loin mes recherches sur ce sujet, ce qui m’a menée à croiser les chemins de la paléoanthropologie et de la philosophie avec grand plaisir.

Je marche grâce à mon cerveau

Retour sur notre évolution

Bien sûr, la marche est pour beaucoup une affaire de mouvement physique, il s’agit de mettre un pied devant l’autre en sollicitant divers muscles pour avancer, sans tomber ! Mais si nous n’avions que des jambes et des pieds nous ne pourrions marcher car, c’est notre cerveau qui prend la décision de marcher et qui programme notre marche. Et cela est un phénomène complexe. En effet, ce sont des structures différentes au sein de notre cerveau qui prennent la décision de marcher (plutôt vers l’avant de notre cerveau, notamment notre cortex préfrontal), qui programment et coordonnent la marche (structures plus en arrière et plus anciennes comme les noyaux gris centraux) et qui font exécuter la marche (la formation réticulée, certains centres de la moëlle épinière et le cervelet). Sans compter nos systèmes de mémorisation (dont l’hippocampe) qui nous ont permis d’ancrer la marche dans notre mémoire pour en faire un automatisme. En bref, une grande partie de notre cerveau, avec ses structures interconnectées, participe à marche.

Par ailleurs, l’humain est le seul animal et même le seul primate qui a opté pour une marche bipède (sur deux pieds). Certains grands singes et même des ours se redressent mais avancent le plus souvent sur quatre pattes. Pour autant, cette marche debout ne va pas de soi. Contrairement à un poulain ou bien d’autres animaux qui se mettent sur leurs pattes très rapidement après la naissance, il faut au petit d’Homme environ un an pour se mettre debout et deux pour marcher à peu près correctement. Et encore, cette marche va continuer à se modifier jusqu’à la maturation complète de cerveau (20-25 ans). La marche se met donc en place progressivement, en parallèle du développement du cerveau.

La marche et le cerveau en lien étroit

« Nos pieds et notre cerveau sont liés » comme nous le dit Pascal Picq dans son ouvrage (1). De même, des troubles de la marche apparaissent lors de certaines lésions du cerveau ou aussi lors du vieillissement avec la dégénérescence du cerveau. Les neurologues peuvent même reconnaître ces dysfonctionnements cérébraux juste en observant leur patient marcher.

Si nous regardons un peu en arrière, à travers l’évolution, le développement du cerveau humain fait un bond en avant quand l’Homme se met debout vers deux millions d’années. Pascal Picq nous dit « c’est après l’acquisition de la bipédie que tout se met en place au fil de notre évolution, comme si un seuil biologique était dépassé – franchir le pas en quelque sorte – avant que n’arrive ce qui fait authentiquement l’humain : langage, cultures, outils, sociétés, arts… ». Alors, est-ce que l’Homme descendant du singe s’est mis debout pour voir plus loin venir ses prédateurs et son cerveau s’est alors développé ou est-ce parce que son cerveau s’est développé qu’il s’est mis debout et qu’il survit plus facilement (pensée darwinienne) ? Cette question rejoint celle de la poule et de l’œuf, la réponse n’est pas tranchée.

Aujourd’hui il est même possible de retrouver l’usage de la marche grâce à la pensée et à l’intelligence artificielle avec les interfaces cerveau-machine (2)…

« Je marche donc je pense »

Titre du livre de Roger-Paul Droit et Yves Agid (3) dans lequel philosophe et neurologue se posent la question de savoir si penser c’est marcher ou si marcher permet de penser. Le philosophe Roger-Pol Droit nous dit : « Quand on marche, on chute vers l’avant et l’on se rattrape in extremis. La pensée procède du même mécanisme. On se libère de nos certitudes, de nos préjugés, et l’on avance en déséquilibre permanent, avec parfois la peur de se casser la figure. J’aime dire que la pensée est une marche mentale ». Le philosophe fait donc ici une analogie entre le processus de la pensée et celui de la marche. Et de grands penseurs et savants font de telles analogies. Descartes avec son « Discours de la méthode (4) », étymologiquement méthode vient du grec « poursuite ou recherche d’une voie ». Ou encore Hegel qui dans la dialectique voit une sorte de marche de la pensée.

Et le neurologue de lui répondre « Quand je cale sur un diagnostic, confesse Yves Agid, je fais le tour du pâté de maisons et la solution apparaît quasiment d’elle-même ». Cela rappelle les grands philosophes péripatéticiens, du grec « qui aime se promener » tels Aristote, Socrate ou Platon. Plus proche de nous Rousseau qui déclare « La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit ». Ou encore Nietzsche qui recommande « ne prêter foi à aucune pensée qui n’ait été composée au grand air, dans le libre mouvement du corps – à aucune idée où les muscles n’aient été eux aussi de la fête ».

Les bienfaits de cette pratique

Dans ce cas, l’automatisation de la marche permet à notre cerveau de se consacrer à d’autres activités telles que parler ou marcher. Car, rappelons-le, notre cerveau ne peut faire deux choses simultanément que si une des deux est totalement automatisée, mais cela est un autre sujet. Marcher libère donc notamment notre cortex préfrontal qui peut alors penser plus librement voir résoudre des problèmes et être plus créatif. C’est ce qu’ont montré des chercheurs de l’université de Stanford (5). Les participants étaient soit assis soit ils devaient marcher aussi bien en extérieur qu’en intérieur sur un tapis roulant et passaient ensuite des tests de créativité (dont le test des usages alternatifs de Guilford). Ceux qui marchent ont un meilleur score donc un potentiel créatif plus élevé. La marche serait donc un « boost créatif » comme l’expriment les auteurs de cette étude. « La marche nous permet de regarder les choses sous un angle différent et de trouver de nouvelles façons de résoudre les problèmes, explique le psychologue du sport Jens Kleinert. Le rythme des pas, notamment, stimule de nouvelles façons de penser ».

Le cervelet, ce petit cerveau logé à l’arrière de notre crâne (voir un précédant article « Le cervelet, petit mais costaud ») est un puissant intégrateur des mouvements du corps mais aussi coordinateur de processus mentaux. Comme le rappelle Yves Agid « Quand nous posons un pied devant l’autre, c’est notre cervelet qui carbure, ainsi que les noyaux gris centraux, sièges de la pensée archaïque et de la mémorisation ». Cette partie du cerveau, activée par le mouvement, jouerait donc également un rôle dans l’activation de la cognition.

La marche et le cerveau pour pour penser positif

En plus de stimuler la pensée et la créativité, la marche serait une source d’émotions agréables. Dans leur étude menée en 2016 (6), les psychologues Miller et Krizan ont montré qu’une promenade pouvait améliorer l’humeur des participants. Dans une autre étude, des chercheurs de l’université de Nouvelle-Galle du sud (7) concluent, malgré quelques biais méthodologiques, qu’avec au moins une heure d’activité physique par semaine (quelle que soit l’intensité de l’exercice, le genre et l’âge des participants) 12% des dépressions pourraient être évitées, mais pas l’anxiété. Est-ce par un effet sur l’estime de soi, la libération de sérotonine, de molécules neuroprotectrices (comme le BDNF) ou la stimulation de l’hippocampe ? Ceci n’a pas été mesuré dans cette étude.

La marche permet donc d’améliorer la santé émotionnelle, même dans un environnement pollué, c’est ce qui a été montré en Chine lors d’une étude publiée en 2020 (8).

Je marche pour gagner des points de vie

Le médecin grec Hippocrate pensait déjà que la marche était le meilleur remède que nous puissions employer. En 2022, L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) annonce que marcher pendant 30 minutes presque tous les jours réduit le risque de mortalité d’au moins 10 %. Les résultats vont dans le même sens dans cette étude de l’université de Cambridge (9) dans laquelle il a été montré que les personnes qui avaient une activité physique modérée avaient de 16 à 30 % de risques de mourir en moins que celles qui étaient totalement sédentaires. Même un minimum d’activité bénéficiait à la santé de tous les participants, qu’ils soient minces ou en surpoids.

En particulier, la marche protègerait notre cerveau. Elle pourrait ralentir le déclin cognitif lié à l’âge comme le montre cette étude publiée en 2021 (10) dans laquelle la marche régulière améliore la fonction cognitive de personnes âgées. Une revue scientifique publiée en 2022 (11) met en évidence que l’exercice physique modéré augmente les taux de BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), un protecteur des neurones et maintient le cerveau en bonne santé.

La marche et l’exercice physique en général influenceraient donc le fonctionnement de notre cerveau.

Conclusion

Marche, cerveau et pensée sont donc étroitement liés. La marche semble en effet avoir des effets bénéfiques sur la pensée, la créativité, la concentration, la neurogenèse, le ralentissement du déclin cognitif…

Alors, oui, marchons pour apprendre, pour réfléchir, pour trouver des solutions ou faire du bien à notre cerveau. Voilà une bonne manière de faire une VRAIE pause, celle qui permet de laisser notre cerveau vaquer à ses occupations et de retrouver « un rythme “humain”, loin de la frénésie habituelle, on se reconnecte à soi et aux beautés de la nature. Cela aussi stimule l’imagination, donc l’intelligence » comme nous le dit Roger Pol Droit. Donc simplement, marchons pour garder notre humanité.

Pour conclure sur le coaching, sujet qui a fait le point de départ de cet article, et de ce que nous dit Pascal Picq « Seuls celles et ceux qui ont gravi des cols et des sommets savent que si le but à atteindre se dessine nettement dans la pureté du ciel, les chemins pour y arriver sont sinueux et défient le temps ». Le milieu naturel invite à revenir à l’essentiel et représente une source de métaphores. Alors, oui, le coaching en marchant est une bonne idée pour que chacun puisse cheminer vers son objectif à son rythme, selon un chemin qui lui est propre avec le coach à ses côtés qui l’accompagne tout au long de son parcours. Ce n’est pas sans rappeler l’origine du mot coach, le cocher, qui conduit les voyageurs d’un point à un autre. Finalement, le coaching participe d’un mouvement qui peut s’incarner dans la marche.

 

 

Références

1. Pascal Picq. La marche – Sauver le nomade qui est en nous. Editions Autrement, 2024

2. https://www.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/a-la-une/actualites-recherche/une-interface-cerveau-machine-permet-a-une-personne-paraplegique-de-controler-sa-marche-par-la-pensee-1246145.kjsp

3. Roger Pol Droit et Yves Agid. Je marche donc je pense. Editions Albin Michel, 2022

4. René Descartes. Discours de la méthode. 1637

5. Oppezzo. &  Schwartz. Give Your Ideas Some Legs: The Positive Effect of Walking on Creative Thinking. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition. Vol. 40. No. 4. P. 1142–1152, 2014.

6. J. C. Miller et Z. Krizan, Walking facilitates positive affect (even when expecting the opposite). Emotion, 10.1037/a0040270, 2016.

7. S. B. Harvey et al.Exercise and the prevention of depression: Results of the HUNT cohort study. The American Journal of Psychiatry, 10.1176/appi.ajp.2017.16111223, 2018.

8. Zhenjun Zhu et al. Exploring the Relationship between Walking and Emotional Health in China. Int J Environ Res Public Health, Nov 27;17(23):8804/ doi: 10.3390/ijerph17238804, 2020.

9. U. Ekelund et al. Physical activity and all-cause mortality across levels of overall and abdominal adiposity in European men and women: the European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition Study (EPIC). American Journal of Clinical Nutrition, 10.3945/ajcn.114.100065, 2015.

10. Suh-Jung, K. et al. Effects of Walking on Cognitive Function in Elderly Populations. Journal of Alzheimer’s Disease, Apr; 9(4): 419. 10.3390/healthcare9040419, 2021.

11. Bojun, Zhou et al. The Impact of Physical Activity on Neurotrophin Levels in Brain Health and Learning. Frontiers in Human Neuroscience. 14. 981002. 10.3389/fnagi.2022.981002, 2022.